Pour qui l’addition ?

23 Oct 2014 | Actu

sortie de la civiereTrois jours après l’opération de recherche menée en Isère sur le massif de la dent de Crolles au bénéfice de deux aventuriers perdus dans les réseaux souterrains, la préfecture relance, dans un communiqué précis et juste, le problème de la prise en charge financière des secours.

Pour avoir suivi et participé activement à la mise en place de la loi de modernisation de la sécurité civile en 2004, mais aussi et surtout, avoir toujours bataillé contre une inégalité face au secours, je vous livre mes réflexions à ce sujet.

 

Ne pas mélanger spéléo et spéléo

Attention aux définitions, le spéléologue est une personne qui est un habitué de la spéléologie, de la plupart de ces facettes que ce soit l’exploration, le secours, la faune, l’hydrologie. C’est un habitué du monde souterrain, respectueux de ses pratiques et qui partage sa passion avec qui le souhaite, généralement au sein de clubs, pour la plupart appartenant à la Fédération Française de Spéléologie. Cette même fédération qui dispose d’une commission pour apprendre les techniques et faire de la prévention, l’Ecole Française de spéléologie, et d’une commission secours, le Spéléo Secours Français, qui est la référence internationale en secours en milieu souterrain. Donc un spéléologue connaît son milieu ou sait se faire accompagner par un collègue local.

Dans le cas qui nous préoccupe, nous sommes bien loin de cela. Nous avons à faire à deux randonneurs qui s’aventurent sous terre sans connaissance suffisante. Ils se font secourir une première fois, ce qui peut s’assimiler à une erreur d’évaluation, puis une deuxième fois, au même endroit, nous sommes proches de l’entêtement.

Comme une personne parcourant la montagne pour la première fois de sa vie, le plus souvent en basket, n’est pas un montagnard, comme une personne louant un bateau sans connaissance n’est pas un marin, un quidam s’aventurant sous terre n’est pas un spéléo. Cette différence est primordiale, il faut savoir de qui on parle.

 

En France, les secours sont gratuits, mais ils ont un coût !

C’est ce que me rappelaient les préfets et la direction de la sécurité civile à chaque opération de secours que je dirigeais. Et ils ont raison. En France, les secours sont gratuits sur tout le territoire, et cette gratuité est inscrite au plus profond de nos textes et de la devise même de notre république. L’enfant renversé sera pris en charge comme l’ouvrier blessé, le supporter atteint par un projectile, le conducteur assoupit au volant de sa voiture ou le parapentiste.

Mais chaque secours coûte à la société, à chacun de nous, même si, dans ce cas, le secours spéléo, réalisé en grande partie par le Spéléo Secours français ne coûte pas cher : ce sont 2000 bénévoles, compétents, entrainés sur leur temps de loisir et qui ne coûtent que leurs éventuelles pertes de salaires les jours d’opération de secours…

 

Une exception, le domaine skiable

Attention hors piste ©Eric ZIPEREffectivement, le secours est gratuit partout en France, sauf en station de ski, sur le domaine skiable. Considéré comme espace privé, l’exploitant et/ou la commune sont en charge des secours et les facturent aux utilisateurs. Cet état pose tout de même des questions ? Quid des espaces qui les hivers sont payants quand ils sont parcourus par des skieurs et sur lesquels, en été, les secours deviennent gratuits quand les mêmes pentes, sont dévalés par les mêmes clients des remontés mécaniques, mais en VTT cette fois.

Pourquoi cette discrimination selon l’activité ? Parce que les communes et/ou les stations gagent de l’argent en vendant un produit, il est donc normal qu’elles supportent aussi, ou plutôt fassent supporter le coût à leurs clients. Comment ne pas s’interroger alors sur la prise en charge des blessés dans les parcs d’attractions, les salles de concerts, les stades…

Cette exception n’est pas la bonne solution. Elle est inégalitaire.

 

Que dit la loi ?

La loi du 13 août 2004 définit clairement les choses. Les secours sont à la charge du Service départemental d’incendie et de Secours pour tout ce qui est engagé par le département, à la charge de l’état en cas de renfort hors département. Cette loi dispense ainsi les communes bénéficiaires des secours, d’avoir à supporter parfois des frais incompatibles avec leur budget annuel.

SSF et SDIS

Ce sont donc nos impôts qui permettent de garantir à toute personne d’être secourue rapidement, dans de bonnes conditions, sur l’ensemble du territoire, quelque soit la cause de sa détresse.

Certaines fédérations, comme celle de montagne, de spéléo et bien d’autres, obligent leurs membres à souscrire en plus une assurance.

 

Alors, vers une participation financière dans certains cas ?

C’est un débat qui revient souvent et qui pose une question simple : ne pourrait-on pas demander une participation financière aux personnes secourus en cas d’inconscience, de prise de risques inconsidérés, voire de récidives, d’équipement défaillant, d’absence de formation ? Cela paraît tellement logique et juste que cela m’a aussi séduit dans un premier temps. Pourquoi ne pas exiger une somme d’argent à définir à chaque fois au randonneur mal équipé, parti sans consulter la météo, au parapentiste débutant décollant d’un spot trop difficile, à l’explorateur de cavernes amateur parti sans prévenir, avec une simple lampe à la main dans un gouffre labyrinthique ?

L’accident est parfois inévitable, c’est le vrai accident, un éboulement, un rocher qui se détache. Souvent l’accident est une suite de petits incidents, de petites négligences, d’un peu d’inconscience. Souvent aussi, il résulte d’une faute délibérée de la personne, le plus classique étant la personne prend le volant en ayant bu. Mais deux problèmes se posent alors.

Qui tient le curseur pour dire si il y a prise de risque, inconscience, choix de se mettre en danger ? Pour de nombreuses personnes, le spéléologue est un inconscient parce qu’il est spéléologue et qu’il va sous terre. Ou l‘alpiniste, le plongeur. Qui décidera de le condamner ou non ?

Et dans cette logique, que faire de tous les autres cas de la vie quotidienne, accidents domestiques (la casserole mal placée sur le feu, la piscine, les appareils électriques, la cigarette au lit), de la route (médicament et volant, alcool, conduite dangereuse)…

La question est posée.

 

Dernières précisions

La tentation, en cas de secours payants, de se sortir seul d’affaire conduira aussi à des drames. Entre l’attentisme forcené d’un secours obligatoire et l’autosecours à tout prix, il faut envisager tous les cas de figures. Vouloir s’en sortir seul de peur de la facture à payer peut mener à des drames. On n’appellerait les secours qu’en dernière limite, quand le secours a engager sera devenu difficile voire dangereux.

Les accidents spéléos en France sont au nombre de 25 par an. Bon nombre, grâce à la formation des spéléologues se terminent en autosecours et ne coûtent rien. Sur les 25, la plupart ne mobilisent que peu de personnes. 5 seulement sont médicalisés. Le coût annuel des secours spéléo est de moins de 100000 € par an pour 1 million d’heures de pratique. Peu de disciplines peuvent présenter un tel bilan.

EXERCICE SPELEO1

 

 

 

 

 

 

 

2 Commentaires

  1. GERBER Agnès

    Merci Eric pour cette analyse et cette clair voyance. Je partage votre avis et le problème du curseur est à double tranchant (le coût ou sauver une vie quant on peut encore le faire !). Toutefois, je pense que si les personnes sont informées qu’il y a risque de devoir payer une partie de l’addition, cela peut modifier le comportement et rendre certains plus responsable de leurs actes. Je pense que la majorité de la population reste dans l’idée ancrée de la gratuité des secours. Il convient que chacun se responsabilise également. Nul ne peut de nos jours ignorer les risques des sports extérieurs notamment ceux liés à la nature. Il y a suffisamment de communication faite sur les accidents pour comprendre que l’homme ne peut maîtriser les éléments naturels. Rappeler que des secours s’organisent grâce au bénévolat aussi, qui n’est pas gratuit par contre pour les bénévoles qui donnent de leur temps pour une cause commune et nous permettre d’évoluer librement. Alors que fait-on de la conscience collective et de la responsabilité partagée ? Cela passe déjà par soi !

  2. Garnier

    Voila un article juste et bien posé. Bravo. Marlène

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